Lorsque, après le baccalauréat, un lycéen annonce qu’il veut faire de la philosophie, il se fait traiter de « fou » par ses proches et ses amis ; et si, par malheur, il souhaite faire de la « philosophie thomiste », alors non seulement il apparait fou, mais aussi rétrograde ! À quoi peut donc lui servir, dans le monde moderne, la philosophie « réaliste » de saint Thomas d’Aquin ? On peut à la limite admettre l’étude de philosophes comme Freud, ou Marx, qui semblent plus utiles pour comprendre la société moderne, mais on n’admet pas qu’on puisse étudier, avec intérêt, un philosophe mort il y a plus de six siècles !
Cependant, dans le moment même où l’étude de la philosophie semble à certains une folie, cette même philosophie suscite envies et regrets. Combien de personnes rencontre-t-on qui auraient souhaité faire de la philosophie, mais qui ont préféré s’orienter vers des études apparemment plus « rentables » ? Dès qu’ils ont une minute de libre ou qu’ils se trouvent à la retraite, ils achètent en désordre des ouvrages de vulgarisation afin de trouver des réponses à de multiples questions : le monde a-t-il un sens ? Qu’est-ce que le mouvement ? Qu’est-ce qu’un homme ? Qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce que le beau ? …
Ce phénomène conforte notre désir de vérité : les études « rentables » n’apportent pas de réponses à ces questions. L’intelligence humaine ne semble pas satisfaite par ces études : on peut même dire que plus les études sont poussées et précises, plus l’intelligence est insatisfaite, et recherche des solutions dans une véritable sagesse.
Toutefois, pour un étudiant en philosophie, le plus important, ce ne sont pas les conclusions que ces études apportent, mais la formation humaine (de culture générale) qu’elles donnent.
En effet, la philosophie ne transmet pas des conclusions et des connaissances aussi précises que celles que pourrait apporter une formation par exemple scientifique. Elle apprend essentiellement à penser droit. Cela, de nombreuses autres formations peuvent l’apprendre en tel secteur particulier. Mais seule la philosophie donne une pensée juste en tout domaine. C’est ce qu’Aristote considérait comme la manifestation d’un homme cultive, « car c’est bien le fait d’un homme cultive que d’être apte à porter un jugement qui tombe juste sur la manière, correcte ou non, suivant laquelle on fait un exposé »1 . La philosophie n’apporte pas, au sens strict, des conclusions et des connaissances pratiques, mais donne une culture humaine générale qui permet de savoir si une conclusion est correcte en examinant si la démarche pour l’atteindre est bonne.
Chaque science possède une démarche particulière et propre : c’est le but d’une philosophie réaliste de se donner le mode selon lequel on doit raisonner en chaque science. Il faut étudier ces modes afin d’atteindre les conclusions, sans plus errer.
Ainsi, de même que, une fois qu’un morceau de papier est plié, on peut plus facilement et plus rapidement le plier à nouveau selon le même pli ; de même la philosophie nous donne une manière de penser droit qui incline l’intelligence à avoir habituellement un jugement juste. (…)
Cependant l’étudiant ne doit pas s’illusionner : la voie qu’il a choisie n’est ni la plus facile ni la moins longue. En effet, la philosophie ne peut donner qu’une assise profonde à partir de laquelle on peut, si l’on veut, se spécialiser avec profit. Toutefois c’est un chemin difficile et long auquel on se soumet facilement et avec enthousiasme car il nous conduit au Vrai, au Beau et au Bien !
1. Aristote, Les parties des animaux I, 1, 639 à 5-6.
Postface, Actualité de la philosophie, Actes du Congrès, Octobre 1989, Ed. NEL