Le Fillongate ou le pouvoir du cynisme
Il arrive qu’un homme honnête, même un saint, même un dieu, s’il tombe dans le champ politique, soit accusé d’être abject, tellement abject qu’il soulève la foule contre lui et qu’on le condamne à mourir. C’est arrivé à Jésus Lui-même. Rappelons-nous ce passage de l’évangile selon saint Matthieu : «Jean vient en effet, ne mangeant ni ne buvant, et l’on dit : Il est possédé ! Vient le Fils de l’homme, mangeant et buvant, et l’on dit : Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs !» (Mt 11, 18-19). Et Jésus a été mis à mort. Socrate a été accusé de corrompre la jeunesse – le comportement d’Alcibiade était, selon ses accusateurs, un «fait évident» ! Socrate a été condamné a boire la ciguë ; il mourut entouré de ses amis, dont certains lui avaient proposé une évasion qu’il refusa. Après avoir rendu les plus grands services à la Cour d’Angleterre, Thomas More, accusé de trahison suite à un parjure de Thomas Cromwell, fut condamné par le roi Henri VIII à la décapitation.
Personne ne dira que François Fillon est un autre Jésus, un autre Socrate, pas même un Thomas More. Mais le procédé est le même. Inutile de chercher qui veut sa mort politique, mais c’est bien ce que l’on veut. Les primaires ont été trop brillantes, la marche vers la présidence semblait pour certains trop assurée pour qu’on le laisse aller. Il fallait l’attaquer, et l’attaquer sur le point qui semblait être sa force et qui en réalité était sa faiblesse : son honnêteté politique. Voilà un homme qui ne traînait pas de casseroles ; il fallait donc lui en trouver.
Les trouvailles du Canard Enchaîné
Madame Fillon a été embauchée par son mari comme assistante parlementaire pendant dix ans, en recevant un salaire global, nous dit le journal satirique, de 500 000 € (brut ou net). L’embauche d’un conjoint n’est pas illégale, puisque l’enveloppe que reçoit un membre du Parlement lui permet d’embaucher qui il veut (même son conjoint), et de le faire travailler où il le veut. 500 000 € sur 10 ans, cela fait 50 000 € par année, arrondis avec ce qu’elle était censée percevoir de son embauche à la Revue des Deux Mondes. En fait, l’assistante parlementaire du député ou du ministre Fillon est chichement payée : 50 000 € annuels, c’est le salaire que demande un junior qui sort d’une école de commerce de second niveau ! Et quel est le salaire que lui aurait versé la Revue des Deux-Mondes ? Cela n’est pas dit, mais si cela vient compléter les 500 000 €, on ne se retrouve pas devant des montants fabuleux. Madame Fillon aura coûté à l’État bien moins cher que Julie Gayet, pour qui l’on paye 800 000 € par an en garde rapprochée. Ni même qu’une certaine Mazarine ! Le lundi 1er févier, le Canard Enchaîné en remet une couche ! Ce n’est plus 500 000 €, c’est maintenant 831 440 €, soit pour 22 ans de collaboration, un salaire annuel de 37 792 €.
Il y a des «faits» qui sont sans doute vrais. François Fillon a embauché sa femme comme assistante parlementaire depuis qu’il travaille au parlement. Il l’a fait légalement, comme tant d’autres députés qui embauchent soit un conjoint, soit un neveu ! Ce sont des faits comptables et, si le Canard enchaîné en trouve la trace à quelques centimes près, ils doivent bien exister quelque part. Et s’ils sont faux, espérons que François Filon pourra prouver qu’ils le sont !
Le soupçon
Le soupçon ne se trouve pas là. Le montant global des chiffres avancés permet de susciter l’attention du public. Leur révélation est faite pour cela ! Le véritable soupçon, c’est que Madame Fillon n’aurait jamais fait le travail pour lequel elle était payée. Or, sur ce point, les faits deviennent flous ! On ne l’aurait jamais vu traîner dans les couloirs du Parlement, ou bien elle ne serait jamais allée à la mairie de Sablé-sur-Sarthe quand Marc Jouleau siégeait au Parlement en remplacement de François Fillon. Une secrétaire, maintenant employée à la mairie d’Angers, n’a jamais vu Madame Fillon à la mairie de Sablé ! À la Revue des Deux Monde, Madame Fillon est devenue transparente ! Mais quel est donc le travail d’un assistant parlementaire ? Être vu dans les couloirs du Parlement ? Porter un badge et se promener de bureau en bureau ? Signer des notes ? Le travail d’un assistant parlementaire est d’assister le député qui l’emploie. Mais il faut savoir que ce premier travail est fort recherché par tout jeune homme ou toute jeune fille qui veut respirer l’air du sérail, car c’est là que se tissent les premiers contacts, là qu’on se fait connaître et que l’on choisit son «parrain» ou qu’un «parrain» vous choisit. Celui qui, un jour, veut devenir député, commence à placer sa «fortune» dans les couloirs ou les bureaux des parlementaires qu’il côtoie. Il connaît les influences, il enrichit son carnet d’adresse, il flaire qui lui tendra la main. C’est là l’aspect intéressant de l’emploi. Ce n’est pas le salaire, ni même le travail !
Cet aspect du travail, Penelope Fillon n’en avait nul besoin. Elle a joué un rôle dans l’ombre, et cela correspond bien à sa personnalité. Et si elle a pu dire à une télévision qu’elle n’est jamais intervenue dans le travail de son mari, cela ne signifie pas qu’elle ne l’a jamais aidé.
Les véritables faits de l’enquête doivent révéler si Madame Fillon a fait ou non le travail que son «patron» lui demandait, ou si elle a utilisé ce «salaire» pour mener une vie indépendante, voyager aux Caraïbes, vivre sa vie ! Le Canard enchaîné dit qu’elle n’a pas fait son travail parce qu’on l’a vue peu ou souvent au Parlement ! Encore faudrait-il prouver que, dans le contrat d’un assistant parlementaire, il y a obligation d’heures de présence au Parlement, et que celui qui ne hante pas ces couloirs manque à ses obligations. Ces questions n’ont pas été posées. Et l’on n’y a pas répondu.
Le mal est fait ! Est-il irrémédiable ?
Peu importe que ces questions soient posées ! Peu importe que des réponses soient apportées ! François Fillon peut s’en sortir avec un non lieu ! Peut-être ! Cependant, le mal que voulait faire le Canard enchaîné est fait. Ce mal, c’est la désillusion ! 65,7% des 4 millions de votants aux primaires de la Droite ont élu François Fillon comme leur candidat aux prochaines élections présidentielles. Cette victoire a soulevé un regain d’espérance. On allait enfin, en France, échapper à la décomposition du système. On élisait un homme de gouvernement, un homme qui manifestait de la force, qui savait où il allait, qui avait un programme et des assises politiques. Surtout, on élisait un homme «honnête». Toutes les spéculations du Canard enchaîné, produisant des chiffres sans doute difficilement contestables accompagnés de soupçons qu’aucun fait ne prouve, ont suffi à créer un climat de désarroi. À l’heure actuelle, toute la presse spécule non sur sa victoire, mais sur sa défaite : on dit qu’il ne sera pas au second tour, qu’il ne tiendra pas la route ; on cherche un plan B. Bref, on doute ! Et le doute est la pire des choses en politique.
Derrière la mort politique de Fillon, que l’on voudrait à tout prix et qui explique la violence qui s’est levée contre lui dès le lendemain des primaires, il y a quelque chose qui est profondément atteint, c’est la santé politique de la France. Un homme présente un programme qui vise à un rééquilibrage économique, à une réforme de l’éducation, à un assainissement des dépenses de la Sécurité Sociale, à une géopolitique européenne, et l’on ne trouve rien de mieux pour l’abattre que de s’attaquer à sa femme ! Et l’on demande à un organe de presse satirique de faire le travail ! Le Forum politique a-t-il perdu toute dignité ? De quoi parle-t-on aujourd’hui dans la presse ? Du salaire de Penelope et d’un travail qu’on affirme – sans preuve – qu’elle n’a pas fait ! On suppute le profil télégénique d’un candidat, on essaie de sauver l’idéologie d’un rêveur de gauche, on craint le FN. Où est le débat politique ? Où est la démocratie ?
Il reste 90 jours avant les élections. Fillon se doit de nous montrer qu’il a suffisamment de génie et de force pour gouverner la France. Il a derrière lui un passé politique qui lui permet de faire voir ce dont il est capable et ce qu’il faut faire ! Il a à faire la démonstration que le véritable pouvoir politique n’appartient pas aux médias, qu’il ne leur appartient pas d’accuser ceux qui ne lui plaisent pas, sans aucun souci du bien commun, qu’il est plus grave de déstabiliser une nation qui souffre d’un gouvernement confus et inefficace que de payer légalement un salaire à une épouse. Qui est souverain dans la France républicaine ? Les couacs d’un canard déchaîné ou le peuple qui mériterait qu’on lui dise la vérité ? Seule la vérité libère ! Le peuple a le droit de choisir quels sont les hommes et les femmes qui doivent le gouverner.
Aline Lizotte
Photo : Marie-Lan Nguyen / Wikimedia Commons
Voir notre article du 7 février :
Fillongate 2 : une seule issue, la colère du peuple
Voir notre article du 10 février :
François Fillon a-t-il agi de manière illégale ?
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